Journal de bord
L’étude des cultures autochtones et du problème de la reconnaissance est l’une des études les plus difficiles à faire. En tant que personne blanche, issue du groupe des dominants, il y a un réel travail à faire sur soi-même avant de se lancer dans une réflexion. Il faut d’abord comprendre que je suis remplie de préjugés, d’idées préconçues et d’aprioris, que je le souhaite ou non. Ce n’est pas parce que je suis ouverte d’esprit ou de bonne foi que je comprends. Il y a une déconstruction de ces idées, de ces aprioris à faire avant que je puisse réellement aller à la rencontre de l’autre. C’est une leçon d’humilité que d’accepter que ce que je croyais connaître ou comprendre n’est pas la vérité absolue et c’est aussi difficile d’envisager qu’il n’y a de vérité absolue. Je me retrouve donc face à quelque chose de plus sensible et de plus ardu que les autres réflexions faites auparavant, parce que je suis au cœur d’un problème qui n’est pas encore résolu et dont je suis fait partie. Tout d’abord, il est nécessaire de comprendre que les cultures autochtones ne sont pas un sujet ou un objet d’étude, mais bien des cultures à part entière qui sont proches. Aussi, il faut comprendre que le problème de reconnaissance est aussi une enquête sur nos aprioris de ces cultures et sur la vision du groupe dominant, soit celle du nationalisme et du colonialisme Québécois.
La lecture comparée des textes Je suis une maudite sauvagesse de An Antane Kapesh et du rapport Viens, soit celui de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics : écoute, réconciliation et progrès, montre que ce travail de déconstruction des aprioris et d’écoute n’a pas été fait par tout ceux qui se sont auparavant penchés sur la question. Ce qui frappe de cette lecture est que du côté de la commission d’enquête, on se trouve face à un texte qui excuse les Québécois et qui les victimise même avec des arguments tels que leur propre minorité, la menace qui planait sur la culture canadienne française et avec des arguments économiques et de développement. On lit un rapport qui justifie les actions coloniales en évoquant maintes fois le capital et les profits sans prendre la peine d’écouter ou de se remettre en question, du moins c’est l’impression que j’en ai eue. Alors que de l’autre côté, on est face à un texte qui déclame le fait que les Blancs n’ont jamais demandé la permission pour quoi que ce soit, qu’ils ne sont jamais allés à la rencontre des peuples autochtones pour parler ou pour échanger. Les Blancs ne sont jamais remis en question, ils ont assumé leur suprématie sans, encore une fois, se questionner sur les peuples autochtones ou même s’intéresser à eux et à leur culture. Le texte de An Antane Kapesh mis vis-à-vis de ce rapport met en lumière le fait que l’absence de dialogue est toujours présente et que les aprioris et les idées colonialistes et de supériorité sont toujours en vigueur.
L’extrait présenté de Peau rouge, masques blancs de Glen Sean Coulthard traite des demandes des peuples autochtones pour la reconnaissance de ces derniers et pour leur autodétermination. Cela nous ramène à la question de l’écoute. Son texte tient à déconstruire l ‘idée courante selon laquelle la relation coloniale entre les peuples autochtones et l’État canadien peut être adéquatement transformée grâce à une politique fondée sur la reconnaissance. […] la politique de la reconnaissance telle qu’elle apparaît dans sa forme libérale actuelle reproduit inévitablement les configurations du pouvoir étatique colonialiste, raciste et patriarcal que les demandes des peuples autochtones en matière de reconnaissance essaient pourtant de transcender depuis des décennies. Ce passage montre que notre façon de faire et de voir le problème de réconciliation n’est pas la seule et n’est pas nécessairement la bonne. Il faut donc écouter et envisager que la manière dont nous procédons n’est pas adéquate. La déconstruction de notre mode de pensée et des barrières de nos esprits doit être faite pour que l’on puisse avancer.
Lorsqu’on lit Joséphine Bacon dans Upaki on se trouve déjà face au fait que, selon l’autrice, le désordre chez les première nations à commencer avec la sédentarisation (qui était forcée). Notre mode de vie n’est donc déjà pas approprié pour tous et notre culture n’est pas la meilleure. Il faut comprendre qu’il n’y a pas de mode de vie universelle qui s’applique à tous. Cette idée est parfois difficile à accepter, car elle met en cause notre propre manière de vie et notre intelligence. En imposant notre façon de faire, même avec des bonnes intentions, en leur imposant ce que l’on considérait comme le confort (maisons, électricité, éducation) nous avons causé du tort. Cela met en évidence l’absence d’écoute et de dialogue. Je peux même faire un lien avec un passage du texte de An Antane Kapesh : « Après l’avoir trouvé dans le territoire des Indiens, le Blanc aurait dû leur laisser la paix, il n’aurait pas dû se dire : « Quand je suis arrivé en territoire indien, les Indiens se gouvernaient eux-mêmes et se suffisaient à eux-mêmes. » C’est ce que le Blanc aurait pu remarquer quand il les a vus pour la première fois. Si le Blanc avait gardé sa culture pour lui-même, nous aussi nous aurions gardé la nôtre et aujourd’hui il n’y aurait pas tant de conflits entre Blancs et Indiens. » Aujourd’hui, nous nous retrouvons en face, en tant que peuple dominant, a une leçon d’humilité, celle d’accepter nos erreurs et les méfaits que nous avons commis. Or, le texte de Bacon nous montre que ce n’est pas tout le monde qui est prêt à cela. En effet, lorsqu’elle affirme qu’en tant qu’issue d’une minorité, faire acte de présence est déjà politique, car cela crée du désordre, cela prouve que plusieurs ne veulent pas défaire l’ordre établi qui les arrange et qu’ils ne souhaitent pas se remettre en question. Pour la poétesse, écrire est un acte de résistance. Elle promouvoit sa culture, elle bouscule l’ordre établi (comme le prouve son film Tshishe Mishtikuashisht – Le petit grand Européen : Johan Beetz).
Que nous ayons trahi les peuples autochtones devrait nous pousser de l’avant, tant pour eux que pour la terre que nous partageons. Si nous ne parvenons pas à comprendre que la réalité de la vie est un agrégat des perceptions et de la nature de toutes les espèces, nous sommes condamnés, ainsi que la terre que déjà nous assassinons.
Cette citation tirée de l’extrait du texte de Jim Harrison, et ce dit texte au complet, montre ce qu’il a appris des cultures autochtones. Cela nous ramène à l’importance de l’écoute, de l’ouverture et du combat contre nos aprioris. Aussi, cela nous amène à penser que le dialogue et l’écoute nous sont bénéfiques. Nous devons comprendre que nous avons à gagner de cette relation et qu’il ne s’agit pas d’une faveur faite aux autochtones. Se défaire de nos idées préconçues, c’est aussi accepter que nous ne sommes pas parfaits et supérieurs et que nous avons encore beaucoup à apprendre.
L’expérience de pensée par rapport à l’universalisme et John Rawls dans ce contexte m’a seulement prouvée que nos aprioris et nos idées préconçues du bien sont encore présentes et fortes. Nous avons assimilé une vision du bien et en l’imposant, comme nous l’avons fait aux peuples autochtones, montre que cela cause du tort, même si cela ne s’était pas produit de mauvaise foi. L’enfer est pavé de bonnes intentions et il faut savoir accepter que nous devons changer notre manière de voir et de faire les choses pour arriver à régler le problème de la reconnaissance.
Le parcours Nomade et la poésie autochtone nous a fait voir une manière alternative d’aller à la rencontre de l’autre. Je me pose la question : est-ce que la poésie et l’art seraient la façon d’y parvenir ?