Je suis une maudite sauvagesse
L’ARRIVÉE DU BLANC DANS NOTRE TERRITOIRE
Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a demandé de permission à personne, il n’a pas demandé aux Indiens s’ils étaient d’accord. Quand le Blanc a voulu exploiter et détruire notre territoire, il n’a fait signer aux Indiens aucun document disant qu’ils acceptaient qu’il exploite et qu’il détruise tout notre territoire afin que lui seul y gagne sa vie indéfiniment. Quand le blanc a voulu que les Indiens vivent comme des Blancs, il ne leur a pas demandé leur avis et il ne leur a rien fait signer disant qu’ils acceptaient de renoncer à leur culture pour le reste de leurs jours.
Quand le Blanc a eu l’idée d’exploiter et de détruire l’ensemble de notre territoire, il est tout simplement venu nous rejoindre. Après être arrivé chez nous, il nous a pris pour nous enseigner sa façon de vivre à lui, il nous a donné toutes les choses de sa culture et il nous a fourni tous les services des Blancs : maisons, école, dispensaire. Si le Blanc nous a enseigné sa culture et s’il nous a donné toutes sortes de choses – comme la petite somme d’argent qu’il remet une fois par mois à chaque famille indienne, les maisons et les différents services qu’il nous fournit – c’est qu’il a voulu faire en sorte que nous, les Indiens, demeurions au même endroit pour ne pas le déranger pendant que lui exploite et détruit notre territoire. Du même coup, le Blanc a voulu tuer notre culture indienne en même temps que notre langue indienne. Après être arrivé sur nos terres, en nous prenant pour nous enseigner son mode de vie à lui, le Blanc a pris du même coup nos enfants pour leur donner une éducation de Blancs, uniquement pour les gâcher et uniquement pour leur faire perdre leur culture et leur langue indiennes, comme il a fait à tous les Indiens d’Amérique.
Quand il a voulu s’emparer ainsi de nous, le Blanc n’a pas convoqué une seule assemblée pour bien faire comprendre aux Indiens comment il songeait à les tromper. Nous n’avons jamais entendu le Blanc nous dire et nous n’avons jamais reçu de lettre dans laquelle il nous dit :
Moi je suis Blanc et vous, vous êtes Indiens. Les terres où vous êtes, il est vrai qu’elles vous appartiennent à vous, les Indiens; je sais, ce ne sont pas mes terres à moi. Mais je vais vous dire quelque chose, je vais vous demander quelque chose, je vais vous faire une demande.
Le Blanc ne nous a jamais dit :
Vous les Indiens, êtes-vous d’accord que j’aille vous rejoindre dans votre territoire? Êtes-vous d’accord que j’exploite votre territoire? Êtes-vous d’accord que je détruise votre territoire? Êtes-vous d’accord que je construise des barrages sur vos rivières et que je pollue vos rivières et vos lacs? Avant que vous n’acceptiez ce que je vous demande, réfléchissez bien et essayez de bien comprendre. Il pourrait arriver que vous regrettiez dans l’avenir de m’avoir permis d’aller vous trouver chez vous, car si vous êtes d’accord que j’aille dans votre territoire, j’irai pour y ouvrir une mine. Une fois la mine ouverte, je devrai ensuite exploiter et ruiner toute l’étendue de votre pays. Et je barrerai toutes vos rivières et je salirai tous vos lacs. Qu’en pensez-vous? Aimeriez-vous boire de l’eau polluée?
Le Blanc n’a jamais parlé de cela aux Indiens.
J’exploiterai votre territoire et je le détruirai. Aujourd’hui, vous voyez, il est encore très propre et, vous le savez, toutes les sortes d’animaux que vous avez, les animaux indiens, sont encore propres. Tous sont encore bon à manger. Plus tard, je gaspillerai et je salirai vos animaux, toutes les espèces d’animaux indiens. À l’avenir, votre territoire ne sera pas aussi propre que maintenant et vos animaux ne seront pas aussi propres que maintenant. Qu’en pensez-vous? Après que j’aurai gaspillé et Sali vos animaux, est-ce que vous, les Indiens, aimerez les manger même s’ils ne sont pas propres? Par exemple, c’est dans des égouts que vous prendrez toutes les sortes de poissons que vous avez, si à l’avenir vous voulez les tuer pour votre nourriture.
Jamais le Blanc n’a expliqué cela de cette façon aux Indiens.
Pour ce qui est du chantier que j’ouvrirai sur vos terres, il n’y a que moi, qui suis Blanc, qui y gagnerai ma vie tant que je vivrai parce que le travail salarié fait partie de ma culture à moi, Blanc. Réfléchissez bien au travail salarié que je vais introduire dans votre territoire. Vous les Indiens, attention que je vous trompe et attention de vous tromper vous-mêmes. Le travail salarié qu’il y aura dans votre territoire, ce ne sera pas pour vous rendre heureux, gagner votre vie. Il pourrait peut-être arriver que sur le chantier le Blanc n’ait pas besoin de l’Indien, de celui qui n’a pas sa carte de compétence par exemple. Et vous, les Indiens, comment gagnerez-vous votre vie à l’avenir, pensez-vous?
Si vous me permettez d’exploiter votre territoire, je n’accepterai pas que vous me dérangiez après m’avoir donné vos terres pour mon usage. Vos animaux indiens – je le sais et vous, les Indiens, le savez aussi – toutes les sortes d’animaux vous appartiennent encore aujourd’hui. Mais si vous acceptez que j’exploite votre territoire, si on implante le travail salarié sur vos terres, je vous interdirai de tuer vos animaux. Je ne vous permettrai pas de vivre des animaux indiens. Quand le travail salarié sera implanté dans votre territoire, voici comment il servira au Blanc : il ira travailler chez vous quelques années seulement et quand il aura accumulé son argent, il retournera dans son pays. C’est de cette unique façon que nous utiliserons le travail salarié si vous acceptez que votre territoire soit détruit. Nous, les Blancs, serons nombreux à nous enrichir à même votre territoire et vous, les Indiens, serez toujours pauvres. Il se pourrait peut-être que vous vous rendiez compte que tout cela vous apporte encore plus de misères qu’aujourd’hui, alors que vous vivez encore selon votre propre culture et que vous avez votre façon à vous de gagner votre vie.
Le Blanc n’a jamais parlé aux Indiens dans ces termes.
Après que j’aurai instauré le travail salarié sur vos terres, vous ne devrez pas me déranger et je vous interdirai vos animaux. Voici tout ce que je pourrai faire pour vous, les Indiens : à chaque famille une fois pas mois, je donnerai un peu d’argent, je vous donnerai des maisons et je vous enseignerai ma culture. C’est ce que je ferai pour que vous, les Indiens, deveniez sédentaires. Qu’en pensez-vous? Aimerez-vous demeurer constamment au même endroit toute votre vie, pensez-vous ne jamais connaître l’ennui?
L’argent et les maisons que je vous donnerai, de même que toutes les autres choses que je vous distribuerai sous la forme de mes services de Blancs, ma culture que je vous enseignerai, pensez-y bien. Attention que je vous trompe et attention de vous tromper vous-mêmes. C’est par l’argent et les maisons que je vous donnerai et toutes les autres choses que je vous distribuerai que vous vendrez votre territoire et votre culture. Aujourd’hui encore, je vous donne tout ce que vous me demandez mais plus tard, quand vous aurez fini de vendre votre culture et votre territoire, n’allez pas penser que je vous donnerai des choses comme je le fais à présent. Et vous, les Indiens, vous fonctionnerez comme fonctionnent les Blancs; que vous en soyez capables ou non, vous aussi, c’est comme cela que vous devrez fonctionner. Même si vous êtes Indiens, vous aussi vous débourserez de l’argent pour tout, comme les Blancs. Et si vous pensez vivre de vos animaux indiens, vous aussi vous paierez, comme les Blancs.
Le Blanc ne nous a jamais parlé de cela de cette façon et ne nous en a rien expliqué. Après son arrivée ici, dans notre territoire, il nous a pris pour nous enseigner sa façon de vivre à lui et il a pris nos enfants pour leur donner une éducation de Blancs sans nous parler de rien et sans nous expliquer quoi que ce soit. Quand le Blanc a pris nos enfants pour les éduquer à sa manière, il ne nous a pas dit ceci :
Vous, les Indiens, êtes-vous d’accord que je donne à vos enfants une éducation de Blancs dans l’unique but de détruire leur culture et leur langue? Réfléchissez bien à ce que je vais vous dire. Attention que je vous trompe et attention de vous tromper-vous-mêmes, car il pourrait arriver que dans l’avenir vous ayez des regrets à cause de vos enfants. Si vous acceptez que je leur donne une éducation de Blancs, ce sera le commencement de la fin de votre culture indienne. C’est ce qui fera que vous abandonnerez graduellement votre culture. Par exemple, bientôt on ne saura plus par vos noms de famille que vous êtes Indiens. Blancs et Indiens, nous porterons les mêmes noms. Quand vous chercherez vos noms indiens partout dans les livres, vous ne vous y trouverez jamais vous-mêmes. Viendra un temps où vous ne vous reconnaitrez plus entre vous. Peut-être que vos enfants auxquels je vais faire perdre leur culture indienne se mettront à sa recherche plus tard, mais ils ne la retrouveront jamais. Jamais ils ne retrouveront cette langue indienne qu’ils auront perdue.
Le Blanc n’a pas parlé de cela à l’Indien. Ce qu’il ne lui a pas dit, c’est qu’il voulait tuer notre culture à notre insu, il voulait tuer notre langue à notre insu et il nous volait notre territoire.
De nos jours, c’est lui qui fait la loi dans notre territoire et à nous les Indiens, il fait suivre ses règlements, comme à des Blancs. Nous remercions le Blanc de ses lois et règlements mais ils ne nous sont d’aucune utilité parce que nous, qui sommes Indiens, ne comprenons rien à la loi des Blancs de toute façon. Que le Blanc garde ses lois et règlements et qu’ils lui servent à lui, parce que c’est de sa culture qu’il s’agit. Voici ce que je pense. Si, de nos jours, l’Indien faisait la loi que les Blancs doivent suivre, peut-être bien qu’ils n’y comprendraient rien et peut-être bien qu’ils ne pourraient pas s’y conformer. Aussi, en territoire indien, seul l’Indien était en droit de faire des lois et de les faire respecter des Blancs afin que les nouveaux venus sachent toute chose; qu’ils se tiennent tranquilles après être venus eux-mêmes trouver les Indiens dans leur territoire; qu’ils fassent attention de ne pas causer de blessures aux Indiens; qu’ils connaissent bien le maniement des armes à feu afin de ne pas tirer n’importe où; qu’ils ne s’amusent pas avec les animaux indiens de façon à ne pas gaspiller la nourriture de l’Indien qui provient des animaux indiens. Voilà la loi que l’Indien aurait demandé au Blanc de respecter après son arrivée en territoire indien.
Si le Blanc n’avait rien compris à ces lois et règlements indiens et s’il n’avait pu s’y conformer, il serait retourné d’où il était venu, là où il y a des lois et des règlements de Blancs. Si le Blanc n’avait pas compris la loi indienne et s’il avait été incapable de la respecter, il n’aurait pu, lui non plus, éviter d’être harcelé par les Indiens. Nous, par exemple, sommes vraiment harcelés par les Blancs parce qu’ils veulent à tout prix être les maîtres dans notre territoire. Mais nous en avons assez d’être, depuis des années, gouvernés par les Blancs. Nous en avons assez d’être depuis des années, malmenés par eux et nous en avons assez de les voir, depuis des années, nous manquer de respect.
Si le Blanc est venu chez nous, c’est uniquement pour trouver un gagne-pain. Après l’avoir trouvé dans le territoire des Indiens, le Blanc aurait dû leur laisser la paix, il n’aurait pas dû se dire : « Quand je suis arrivé en territoire indien, les Indiens se gouvernaient eux-mêmes et se suffisaient à eux-mêmes. » C’est ce que le Blanc aurait pu remarquer quand il les a vus pour la première fois. Si le Blanc avait gardé sa culture pour lui-même, nous aussi nous aurions gardé la nôtre et aujourd’hui il n’y aurait pas tant de conflits entre Blancs et Indiens.
Le Blanc a toujours pensé : « Il n’y a que moi d’intelligent. » Nous sommes au courant du fait que le Blanc va à l’université et qu’il possède un diplôme. L’Indien, que le système scolaire blanc classe en zéroième année, possède aussi un diplôme mais lui, il n’a jamais montré qu’il en possédait un et son diplôme ne lui a jamais servi. Quand il vivait encore sa vie à l’intérieur des terres, il se montrait à lui-même qu’il possédait un diplôme et il e faisait valoir. Quand le Blanc est venu le trouver dans son territoire, l’Indien a rangé son diplôme parce que, voyant le Blanc pour la première fois, il a pensé : « Il est probablement plus intelligent que moi. » Voilà pourquoi il a rangé son diplôme. Après la venue du Blanc, il s’est mis à l’observer à son insu pour voir comment il allait agir envers lui. Il voulait voir si le Blanc allait lui faire du tort et s’il allait lui manquer de respect dans son propre territoire. Après l’avoir observé quelques années, l’Indien sait, aujourd’hui, que le Blanc le croit inintelligent.
Le Blanc n’a probablement jamais su que l’Indien possède un diplôme; lorsqu’il est allé le trouver dans son territoire, l’indien le lui a caché. Mais aujourd’hui il n’a pas honte de montrer au Blanc que lui aussi, en sa qualité d’Indien, possède un diplôme et il n’a pas honte de le faire valoir. L’Indien, lui, n’a pas de certificat à accrocher au mur attestant qu’il est diplômé : c’est dans sa tête que se trouve son diplôme.
LA DÉCOUVERTE DU MINERAI DANS LE NORD
Ceci est l’histoire de Tshishennish-Pien et des Pères Babel et Arnaud. Vous ne trouverez cette histoire nulle part dans un livre car avant que le Blanc nous enseigne sa culture, nous les Indiens, n’avions jamais vécu de telle manière que nous écrivions pour raconter les choses du passé. À présent que le Blanc nous a enseigné sa façon de vivre et qu’il a détruit la nôtre, nous regrettons notre culture. C’est pour cela que nous songeons, nous aussi les Indiens, à écrire comme le Blanc. Et je pense que, maintenant que nous commençons à écrire, c’est nous qui avons le plus de choses à raconter puisque nous, nous sommes aujourd’hui témoins des deux cultures. Le Blanc dit vrai quand il dit : « L’Indien n’a pas de livres. » C’est vrai, l’Indien n’a pas de livres mais voici ce que je pense : chaque Indien possède des histoires dans sa tête, chaque Indien pourrait raconter la vie que nous vivions dans le passé et la vie des Blancs que nous vivons à présent, il pourrait dire à quel point le Blanc nous a trompés depuis que c’est lui qui nous administre. À mon avis, aujourd’hui c’est plutôt à nous qu’il revient de prendre la parole dans les journaux et à la télévision parce qu’ici, dans notre territoire, il n’y a aucun Blanc qui sache mieux que l’Indien comment les choses se passaient avant l’arrivée du premier Blanc dans le Nord.
De nos jours, vous entendez le Blanc dire : « C’est le Père Babel qui a découvert le minerai de fer. » Voici ce que j’en pense. Quand le père Babel a songé à venir ici dans notre territoire, qui l’a amené dans le Nord? C’est l’Indien montagnais. C’est la même chose pour le Père Arnaud, quand il a songé à venir à l’intérieur des terres, c’est aussi l’Indien qui l’a amené et c’est l’Indien qui l’a nourri pendant une année entière, en chassant toutes les espèces d’animaux indiens. Si le Père Arnaud et le Père Babel avaient pu se débrouiller seuls quand ils sont venus dans le Nord, ils n’auraient probablement pas pris d’Indiens avec eux : ils seraient venus tout droit dans le Nord, par leurs propres moyens.
En 1970, on a célébré un centenaire ici à Schefferville. C’est lors de cette célébration que nous avons entendu raconter pour la première fois que c’est le Père Babel qui a découvert le minerai de fer ici. Je n’ai jamais entendu raconter cette histoire par mon père, ni par d’autres Indiens ni par d’autres Aînés. Lors du centenaire, il y avait probablement des Indiens qui ne connaissaient pas bien la raison des réjouissances.
Quand on a annoncé qu’il y aurait une fête là-bas, en ville, nous avons été invités nous aussi à aider aux préparatifs. On a demandé aux Indiens de dresser une tente et aux Indiennes de cuisiner, de préparer des fèves au lard et de faire cuire de la bannique dans le sable. Aujourd’hui que nous vivons la vie du Blanc, quand nous faisons une fête, on n’y mange toujours que des fèves. Quand autrefois nous vivions notre vie d’Indiens, si nous faisions un makushan (banquet rituel), c’était de la graisse de caribou que nous mangions. Il n’y a rien de meilleur que la graisse de caribou, et les fèves au lard ne peuvent se comparer à la graisse de caribou. Avant de commencer la fête, on nous a demandé – hommes, femmes et enfants – de nous habiller à la manière indienne d’autrefois et on a costumé un Indien comme un père oblat d’autrefois. La tente qu’on avait dressée était une shaputuan mais à l’intérieur, manquait la graisse de caribou. Dans la shaputuan se trouvent des Indiens : ce sont eux qui attendront les deux familles montagnaises qui vont arriver à la shaputuan en canot. Et c’est aussi là qu’on amènera, en canot, l’homme costumé en missionnaire.
À l’arrivée des deux familles indiennes près de l’endroit où se trouve la shaputuank, nous voyons le prêtre arriver lui aussi, amené en canot par un Indien. À leur arrivée, les deux familles débarquent de leurs canots et serrent la main de tous les gens de la shaputuan. Quant à l’Indien déguisé en prêtre d’autrefois, il débarque lui aussi du canot et serre, lui aussi, la main de tous les Indiens. L’individu costumé en prêtre était la réplique du Père Babel et celui qui l’avait amené en canot était la réplique de l’Indien qui a amené le Père Babel dans le Nord.
La fête du minerai, à Schefferville, a duré environ trois jours. Le premier jour, Trudeau est venu voir la célébration, car c’est à ce moment-là qu’allait sortir cette histoire inédite qui veut que le découvreur du minerai de fer, ici dans le Nord, soit le Père Babel. L’après-midi, avant que les gens rentrent chez eux, nous avons entendu quelqu’un parler au micro, en français et en montagnais : « On célèbre aujourd’hui le centenaire de la découverte du minerai de fer dans le Nord par le Père Babel », a-t-on dit.
Après avoir entendu cela, j’étais étonnée : jamais je n’avais entendu mon père, ni d’autres Indiens, ni les Ainés raconter cette histoire. Mon père est très âgé, il a quatre-vingt-onze ans. Je l’ai maintes fois entendu raconter tout ce qu’il a vu et les histoires qu’il a entendues concernant les générations passées. À l’âge qu’il a aujourd’hui, j’étais heureuse d’écouter mon père raconter les choses du passé. Il n’y a pas que lui qui détienne des histoires, il y avait aussi son père, son grand-père et son arrière-grand-père. C’est à cause de cela que lui-même possède des histoires qui racontent comment les choses se passaient dans le Nord avant qu’un seul Blanc n’y vienne.
À la fin, chacun est rentré chez soi. En arrivant chez nous, mon mari et moi avons commencé à parler de la nouvelle que nous venions d’entendre. Pendant que nous en parlions, mon père est entré. À son arrivée chez nous, je lui ai aussitôt raconté ce que j’avais entendu dire. Je n’avais pas encore terminé ce que je voulais lui raconter que mon père s’est mis à rire puis il m’a dit : « Voyons, n’écoute pas ce mensonge. L’histoire que tu as entendue aujourd’hui, le Blanc vient de l’inventer. » Mon père m’a dit encore : « À présente moi je vais te raconter l’histoire, écoute-moi attentivement. »
Nous les Indiens, nous avons entendu dire que les Pères Babel et Arnaud ne sont venus dans le Nord que dans un but religieux : ils sont venus voir les Indiens qui s’y trouvaient pour leur enseigner la religion et pour les baptiser, ici à l’intérieur des terres. Jamais nous n’avons entendu dire que les deux prêtres qui sont venus ici cherchaient du minerai et jamais nous n’avons entendu l’histoire selon laquelle le Père Babel aurait découvert du minerai dans le Nord.
Mon père a ajouté :
Et même s’il était vrai que le Père Babel ait découvert du minerai ici dans le Nord, je pense, moi, que ce n’est pas son nom à lui mais celui de l’Indien qui l’a amené dans le Nord qui devrait être associé au minerai qu’on y a découvert. Quand le Père Babel a songé à venir ici, il n’aurait jamais pu s’amener à l’intérieur des terres par ses propres moyens et il n’aurait jamais pu prendre soin de lui-même tout seul, dans une tente, pendant une année entière. L’image que vous voyez aujourd’hui accroché au mur dans la salle des Chevaliers de Colomb représente le Père Babel et une famille montagnaise. Quant à l’Indien, il s’agit de celui qu’on appelle Atsapi Antane.