Les enjeux autochtones sont un sujet qui me tient beaucoup à cœur, car je crois que c’est notre devoir en tant qu’allochtones (et colonisateurs…) de nous informer et de tenter de faire le pont entre nous et les gens chez qui on vit. Après tout, je me situe présentement, au moment d’écrire ces lignes, sur un territoire non cédé appartenant à la confédération Haudenausonee et aux Mohawks iroquois. Nous, allochtones, descendants des européens, sont obsédés par l’idée que la société doit être fondée sur l’État de droit, alors n’y a-t-il pas ici une contradiction? Si aucun traité n’a jamais été signé et que les terres ont été littéralement volées, ne devrions nous pas être traduits en justice?

Bien sûr, ce questionnement n’est que de l’ordre de l’imagination, car il serait bien trop complexe de faire ce genre de procédures légales, mais plusieurs activistes militent tout de même pour un retour des terres dans les mains autochtones, et je partage leur avis. Il y a un autre aspect qui bloque l’avancée de ces idées: la peur de la transformation. Si de telles transformations se produisaient dans nos sociétés coloniales, nous serions forcés d’avoir de sérieuses conversations par rapport à comment nous faisons les choses. Ce transfert du contrôle des terres se ferait au prix de pouvoir exploiter les ressources naturelles comme bon nous semble, car nous serions obligés de composer avec un peuple qui a des idées sur la gestion de l’environnement fondamentalement différentes des nôtres. L’allochtone se positionne comme protecteur paternaliste de la terre et des êtres qui y vivent, se croyant extérieur et supérieur à ceux-ci, alors que l’autochtone se place en plein milieu du monde vivant, se considérant comme faisant partie d’un tout. Il est interdépendant des êtres qui l’entourent, et il respecte sa partie du contrat de la vie sur Terre.

Ce sont ces considérations qui font peur, car elles nous demandent de nous transformer radicalement pour entrer réellement en contact avec celui qui, depuis 400 ans, est Autre.

“To be loved but not known is comforting but superficial. To be known and not loved is our greatest fear. But to be fully known and truly loved is, well, a lot like being loved by God. »

– Timothy Keller

Dans le contexte des enjeux autochtones, cette citation assez connue et souvent reprise sur les réseaux sociaux fait réfléchir sur le type de relation que nous entretenons présentement, et sur celle que nous pourrions avoir dans le futur avec les autochtones. Elle nous permet de voir que pour se sentir réellement en connexion, en symbiose avec quelqu’un ou quelque chose, nous devons être pleinement reconnus pour qui nous sommes, en plus d’être aimé réellement et sans conditions. C’est beau, et sans doute vrai. Savons nous réellement qui ils sont, ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils aiment, ce qu’ils trouvent beau, ce qui alimente le feu dans leur âme? Je ne crois pas, car pendant longtemps nous n’étions pas intéressés à savoir toutes ces choses.

L’histoire des relations entre autochtones et allochtones est marquée depuis le début par la fermeture et la cruauté d’esprit des colons et d’un opportunisme sans précédent. Lorsque les Anglais n’ont plus eu besoin des Iroquois pour combattre la menace française, et surtout une fois que le feutre et les fourrures n’étaient plus en vogue en Europe, ces derniers ont été discartés et mis à l’écart de la nouvelle société qui se formait en Amérique du Nord. Les autochtones n’étaient que des nuisances à l’engouement expansionniste et colonisateur du XIXe et XXe siècles. Dans une situation telle, il est impossible de dialoguer et impossible d’être transformé, surtout. Nous somme donc devant une impasse.

Exposition Alanis Obomsawin au MAC

J’ai beaucoup apprécié ma visite au musée d’art contemporain lors de l’exposition sur Alanis Obomsawin. Ça a été très enrichissant d’en apprendre sur cette femme que je ne connaissais pas vraiment avant d’assister à l’exposition. J’ai vraiment été fasciné par la variété de son travail, allant de documentaires à des oeuvres d’art plastique et des entrevues et discours très intéressants. Le guide qui nous présentait l’exposition semblait bien connaître son sujet et il semblait sincèrement investi dans ses explications et ses récits.

Elle m’a aussi fait réfléchir sur plusieurs aspects importants par rapport à l’impasse mentionnée plus haut. Le documentaire sur l’épisode de la crise du saumon à Listuguj en 1981 en particulier montrait concrètement comment se manifeste l’absence de dialogue ou de relation entre les autochtones et les blancs. Les pêcheurs autochtones, qui pratiquaient la pêche de subsistance le long de la rivière Restigouche depuis des millénaires avec des techniques ancestrales, ont été forcés par le gouvernement du Québec à cesser leurs activités par peur que cette pratique décime les stocks de saumon. En revanche, c’était la pêche commerciale et sportive abusives qui causaient un déclin dans les populations de saumon, et certainement pas les pêcheurs autochtones. La police a été appelée ce jour-là, le 11 juin 1981, et est intervenue pour stopper la pêche de force. La sûreté du Québec a arrêté 12 membres de la communauté et elle n’a pas hésité à utiliser de la violence. Cet épisode marque un point tournant dans l’histoire de la résistance politique et de l’autodétermination des Mi’gmaws, et plusieurs membres de la communauté s’en souviennent comme un moment traumatisant pour eux et leurs proches.

Le gouvernement du Québec voulait écraser la souveraineté autochtone en conduisant ce raid. On a assisté à une continuation du cycle de violence et de répression culturelle auxquels font face les autochtones depuis le début de la colonisation. Dans son désir d’auto-détermination, la nation québécoise est devenue à son tour le persécuteur d’une minorité sur son territoire. René Lévesque n’était visiblement pas intéressé d’en apprendre plus sur les pratiques anciennes de la pêche chez les Mi’gmaws, ce qui aurait pu éviter ce conflit. Leurs pratiques sont pensées en fonction de respecter leur environnement et de ne prendre que ce qu’ils ont besoin tout en s’assurant que les populations de saumons restent assez élevées pour les préserver. C’est l’impasse, il n’y a pas de dialogue et on refuse d’être transformé.

La crise d’Oka en 1990 est aussi une manifestation de ce cycle qui se répète sans cesse. Le maire de la ville blanche d’Oka voulait approuver l’agrandissement du golf de la ville, mais il y avait un cimetière autochtone sur le chemin. Les autochtones protestent la destruction de leur cimetière, la ville ne veut rien savoir et approuve la construction du projet. S’en est suivi un des épisodes de résistance politique autochtone les plus marquants et les plus médiatisés dans l’histoire du Québec moderne. Encore une fois, on ignorait complètement les désirs et les besoins des autochtones, car nous croyions que les nôtres étaient plus importants que les leurs. Les Mohawks de Kahnawake se sont eux aussi soulevés en soutien à leurs frères de Kanesatake en bloquant le pont Mercier au grand désarroi de la population de Châteauguay. Les habitants de cette banlieue ont scandé des propos très dégradants envers les autochtones et ils ont fait preuve d’un égocentrisme virulent, à mon avis.

Autant du côté de la population que du gouvernement, il y avait une extrême hostilité envers les revendications territoriales des autochtones et je dirais même un grand manque de sensibilité. Je reviens à mon idée de départ par rapport à la peur de la transformation. Les québécois se disent que s’ils obtempèrent aux demandes des autochtones, alors d’autres seront encouragés à revendiquer leur souveraineté territoriale, puis s’en suivrait une réflexion douloureuse sur comment nos ancêtres ont volés leurs terres. Du moins, c’est ce que j’imagine qu’ils se sont dit, probablement plus de manière inconsciente. C’est comme un enfant qui ne veut pas entendre qu’il a fait quelque chose de mal et qui se bouche les oreilles en criant : « la la la la la!! ». Des vraies autruches ces blancs.

Les enjeux environnementaux

Un autre aspect qui m’intéresse beaucoup avec les questions autochtones sont les enjeux environnement auxquels nous faisons face présentement. Le réchauffement climatique est l’enjeu le plus pressant et le plus menaçant pour l’espèce humaine du XXIe siècle. Pendant des millénaires, les autochtones ont vécu en harmonie avec la nature et leur conception du monde les plaçait au même pied d’égalité que tous les autres êtres vivants. Ils habitaient le territoire et ils lui appartenaient, et non l’inverse. Ils vivaient au cycle des saisons et ils se déplaçaient selon les parcours du gibier. Ceci est tout le contraire pour les blancs qui avaient en tête qu’ils étaient en marge du reste du vivant parce qu’ils étaient doués de la pensée. Le blanc s’est donc permis d’exploiter les formes de vie inférieures à ses yeux et de s’enrichir en le faisant. Ceci est un portrait rapide et bref de la situation et de ces conceptions du monde opposées, mais nous pouvons tout de même comprendre avec ces exemples comment nous nous sommes rendus ou nous sommes aujourd’hui.

Je porte la conviction que nous devons écouter les autochtones sur les enjeux de préservation de l’environnement et que nous devons essayer d’embrasser leur vision du monde plus holistique et moins concentrée sur des relations de domination avec le vivant. Nous avions beaucoup développé ces thèmes avec dans mon deuxième cours de philosophie et je suis très passionné par ces questions.

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