Sagesses
Plutôt que de rechercher une définition objective ou philosophique de la sagesse, j’ai cherché à savoir comment les gens voyaient ce concept en demandant à des gens de mon entourage de le définir sans aide extérieure. Voici les réponses que j’ai obtenues :
- Personne 1 : Quelqu’un avec beaucoup de connaissances, mais aussi de la gentillesse
- Personne 2 :Faire des choix réfléchis en pensant au futur à l’aide d’expériences du passé
- Personne 3 :Une compétence qui implique que quelqu’un est calme et réfléchi ; implique de l’expérience et une modestie
- Personne 4 : L’intelligence du contexte et de la nuance. Être capable de prédire les conséquences par l’expérience plutôt que par les calculs objectifs ; degré humain et subjectif
- Personne 5 : Ensemble de connaissances et d’expériences qui permettent de prendre des décisions mesurées, qui servent principalement au concret plutôt qu’à la théorie
- Personne 6 : Faire les bons choix, bien réfléchir.
- Personne 7 : Capacité à prendre des décisions logiques et rationnelles pour le bien du plus grand nombre ou à émettre des réflexions profondes et pertinentes.
- Personne 8 : Prendre la bonne décision, même quand tu voudrais choisir l’autre, parce que sur le long terme, l’une est mieux que l’autre. Apprendre de ses erreurs, reconnaître ses fautes, mais aussi comprendre les erreurs de autres.
Résumé : À la connaissance s’ajoute une capacité à prendre des décisions de façon réfléchie et en fonction du contexte. Un certain calme. La plupart des réponses impliquent une dimension morale aux décisions prises : la personne sage est aussi bonne.
J’ai ensuite demandé aux mêmes personnes de définir ce qu’étaient pour elles les sagesses autochtones
- Personne 1 : Dans l’évolution de la connaissance, celles autochtones seraient les premières
- Personne 2 : Ça me fait penser aux matriarches autochtones qui racontent des histoires sur le passé de leur peuple et aux femmes innues qui lisent dans les organes. Aussi, aux liens que les peuples autochtones entretiennent avec la nature (ils l’écoutent).
- Personne 3 : La nature… très spirituel, ancestral. Les traditions orales.
- Personne 4 : Rapport à la nature, la sagesse de l’héritage et des savoirs sur le territoire (et potentiellement la spiritualité) passés par la culture ; prendre soin de la terre et de développer une relation avec elle que nous on a actuellement perdues et bafouées
- Personne 5 : Les expériences et connaissances dérivées de modes de vie qu’ont eu les peuples autochtones avant la colonisation. Par exemple, une profonde compréhension du climat et des espèces non humaines,a aux technologies et outils qu’ils ont créés et leur organisation sociale et culturelle.
- Personne 6 : Des connaissances sur la nature. La spiritualité autochtone en général.
- Personne 7 : Les chefs des conseils de bande
- Personne 8 : La sagesse initiale. Rapport avec le fait de préserver la terre et la durabilité, remercier la terre pour ce qu’elle nous apporte et la respecter.
Résumé : Connection et harmonie avec la nature. Certaine ancestralité – la plupart des répondants associent les sagesses autochtones à une époque pré coloniale. Spiritualité et tradition.
(Tous les répondants sont entre 18 et 22 ans et sont pour la plupart sensibilisés à la cause autochtone, ou du moins on une opinion positive des communautés autochtones (et sont mes amis))
White « Alliahs »: The Creation & Perpetuation of the « Wise Indian » Trope1
- La « sagesse » est généralement réservée aux communautés autochtones – lorsqu’on parle de l’intelligence personnes blanches, on utilise plutôt les termes « connaissances » ou « expertises »
- En fiction, le « sage Indien » apparait lorsque le protagoniste blanc est en difficulté, utilisant des objets magiques ou de sa « sagesse » pour guider le protagoniste dans sa quête
- La « sagesse » est généralement vague, un mélange de cultures ou complètement imaginé
- Peut aussi être aidé d’êtres extraordinaires (les ratons laveurs de Pocahontas)
- Les « protagonistes blancs », dans la société d’aujourd’hui, se disent « alliés », mais sont toujours pris dans leurs rôles de sauveurs ou de messies
- Désigner les peuples autochtones comme « sages » plutôt que « sauvages », bien que plus positif dans sa connotation, a toujours le même résultat de voir les Autochtones comme « Autres »
- La « sagesse » est utilisée pour désigner tout type de connaissance qui est incomprise par les allochtones
Le Sage autochtone
MAGICAL NATIVE AMERICAN – TV Tropes2
- Pouvoirs magiques provenant d’une spiritualité innée et d’une proximité avec la nature que les races « civilisées » n’ont pas
- Habillé de manière « traditionnelle » (quoique non spécifique) même dans un contexte moderne
- Sert à promouvoir une image « positive » des communautés autochtones, souvent dans un contexte environnementaliste, plutôt que de représenter une culture de façon juste ou de développer le personnage en question
- Pousse le stéréotype des Autochtones comme étrangers « exotiques » et banalise des traditions spirituelles importantes comme simple magie
- Dans un contexte environnementaliste : transforme un respect et un émerveillement pour la nature en culte de la nature stéréotypé et simplifié – la plupart des traditions autochtones centrées sur la nature sont basées sur comment ces peuples ont survécu grâce au territoire
- Personnages souvent représentés comme anti technologie, ignorant les technologies complexes inventées ou utilisées par certains peuples autochtones
MAGICAL NEGRO – TV Tropes3
- Beaucoup de liens avec le sage autochtone, sauf que le sage autochtone est souvent plus « magique »
- N’existe que pour guider le protagoniste, même s’il aurait le pouvoir de résoudre la situation lui-même
- S’il possède des désires égoïstes, ils ne serviront qu’à aider le protagoniste blanc à réaliser son racisme
Les individus et les groupes peuvent subir de réels dommages, une véritable dénaturation, lorsque les gens ou la société autour d’eux leur renvoient une image réductrice, péjorative ou méprisante d’eux-mêmes. La non-reconnaissance et la reconnaissance erronée peuvent être la source de préjudice, une forme d’oppression, emprisonnant des individus dans un mode d’existence déformé, dégradé et faux4
– Glen Sean Coulthard
Ariel Moniz, Being Native American in a Stereotypical and Appropriated North America
- Premier stéréotype : Sauvage assoiffé de sang qui se bat contre les protagonistes blancs
- Apparition de l’Autochtone « condamné » suite à l’assimilation des peuples autochtones : pitié pour des nations mourrantes
- Autochtones devenus obsolètes : les « vrais Indiens » sont seulement ceux que la culture moderne reconnait du passé – les Autochtones ne peuvent pas porter de jeans, magasiner à GAP, ou boire du café de chez Starbucks s’ils veulent être de « vrais Autochtones » – ils doivent rester « autres », mais seulement cet « autre » qui a été désigné pour eux par les Blancs
- L’homme sage :
- souvent appelé « shaman », bien que ce n’est pas un terme qui existe dans les cultures autochtones d’Amérique du Nord et qui a ses origines en Europe
- mené à la notion que tous les Autochtones sont sages et spirituels, en plus de donner une image figée et fausse de « la culture autochtone » chez les allochtones
Les gens éduqués cherchent à dissocier les Canadiens français des Autochtones en attribuant toutes les vertus aux premiers et tous les vices aux seconds. Les Autochtones sont tantôt infantilisés (on les appelle « les enfants des bois ») et en mal de civilisation, tantôt décrits comme des barbares bloquant le chemin au progrès. Ces images demeureront bien vivantes dans les manuels scolaires jusque dans les années 1960 et 1970.
« Les missionnaires, même s’ils n’avaient peut-être pas compris que leur objectif d’évangélisation était de supprimer, de traiter les Inuits comme des enfants. Il s’agit donc d’un effet de… vous savez, l’une des premières choses consiste à nous traiter, comme si nous n’avions aucune connaissance. »5– Rapport final CERP
RÉFLEXIONS
La figure du sage autochtone est une figure issue d’un imaginaire passéiste qui ne correspond pas à la situation actuelle des communautés autochtones
- Plutôt que de représenter les individus comme humains, elle les présente comme figures mythiques et spirituelles censées nous guider
- Les personnes autochtones sont mises à des standards plus hauts que les allochtones : toute dérogation à cette figure sage est perçue comme une faute grave
- Le combat se centre sur la préservation de cultures, de légendes et de savoirs anciens plutôt que sur l’aide d’individus
Il semble y avoir une tentative, des allochtones qui se disent « alliés », de vouloir éloigner les communautés autochtones le plus loin possible de la figure du « sauvage ». La figure du sage en est à l’opposé total. L’opposition sage/sauvage créée une dichotomie dans la représentation. Le sage est bon, le sauvage est mauvais. Le bon Autochtone est celui qui est sage, le mauvais Autochtone est sauvage. Tout individu autochtone qui ne se conforme pas au rôle « bon » est automatiquement mis dans la case « mauvais ».
Sagesse et réconciliation
- Le problème de la réconciliation : projet intégrationiste
- Intégrer les peuples autochtones à la société québécoise, tout en se nourrissant de leur savoir pour notre propre développement personnel et sociétal
- On s’intéresse aux « sagesses autochtones » dans la mesure où celles-ci peuvent nous être utiles
- Le processus de reconnaissance est tout sauf mutuel
« Pour l’État, la reconnaissance et l’accommodation de l’«aspect culturel» dans les négociations territoriales n’incluaient pas la reconnaissance des économies et des formes d’autorité politique autochtones, comme le concept de mode de production et de mode de vie le suggèrent ; au contraire, l’État a insisté pour que toute accommodation institutionnelle de la différence culturelle autochtone soit compatible avec une seule forme politique – à savoir la souveraineté de l’État colonial – et un seul mode de production – à savoir le capitalisme.6«
– Glen Sean Coulthard
L’appellation floue des « sagesses autochtones » elle-même témoigne de la nature utilitaire de l’intérêt des allochtones pour ces « sagesses ». Une volonté d’apprendre sur une culture et d’échanger avec les peuples autochtones serait marquée par une habileté plus grande à nommer ce que sont ces « sagesses » – en vérité des connaissances du territoire dans lequel ont vécu ou vivent certaines communautés et une relation particulière avec celui-ci, des traditions culturelles ou spirituelles, un mode de vie particulier, etc. L’appellation « sagesses autochtones » englobe toutes les communautés autochtones d’Amérique du Nord (voire plus loin) et fait un amalgame de cultures, de traditions et de modes de vie différents. Plutôt que de s’informer de façon juste, on préfère prendre ce qui nous sert.
Le Blanc n’a probablement jamais su que l’Indien possède un diplôme; lorsqu’il est allé le trouver dans son territoire, l’indien le lui a caché. Mais aujourd’hui il n’a pas honte de montrer au Blanc que lui aussi, en sa qualité d’Indien, possède un diplôme et il n’a pas honte de le faire valoir. L’Indien, lui, n’a pas de certificat à accrocher au mur attestant qu’il est diplômé : c’est dans sa tête que se trouve son diplôme7.
– AN ANTANE KAPESH
Situations des communautés autochtones
INDICES DE PAUVRETÉ CHEZ LES PREMIÈRES NATIONS8
Mythes et réalités sur les peuples autochtones, Pierre Lepage
- Le taux de décès des enfants autochtones est le triple de celui des enfants allochtones (Canada);
- L’espérance de vie est plus courte de 6 à 7 ans (Québec);
- Le risque de vivre, dès sa plus jeune enfance, des situations de pauvreté, de négligence et de placement est de trois à cinq fois plus élevé (Québec);
- Un adulte sur quatre est aux prises avec le chômage (Québec);
- En 2006, 4 200 maisons des Premières Nations sur un total de 12 500 étaient surpeuplées et 6 700 avaient un urgent besoin de réparations et/ou décontamination (Québec) ;
- Incidence élevée de la shigellose et de la tuberculose, des maladies associées au surpeuplement et que l’on retrouve surtout dans les pays du tiers-monde (cas de tuberculose à Uashat-Mani-utenam); (CSSSPNQL)
Source : Commission de la Santé et des Services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador
(CSSSPNQL), 2011
Femmes & filles autochtones disparues et assassinées
- Les femmes autochtones représentent 16% des victimes d’homicides et 11% des femmes disparues, bien qu’elles ne constituent que 4,3% de la population du Canada9
- 56 % des femmes autochtones ont subi une agression physique et 46 % une agression sexuelle. En comparaison, environ un tiers des femmes non autochtones ont subi ces agressions au cours de leur vie.
- Un peu plus de 13 % des Autochtones subissent des actes de violence de la part de leur partenaire ou ex-partenaire, un taux deux fois plus élevé que celui enregistré chez les non-Autochtones (5,7 %)10.
Notes
SUR LA REPRÉSENTATION
Au cours de la session, mes trois enquêtes ont porté sur le concept de la représentation. J’ai pu voir que les représentations de groupes ou de communautés, où qu’elles soient, s’imprègnent dans l’imaginaire commun et on des répercussions réelles sur les groupes représentés. Les représentations changent selon les époques et les cultures, mais ce n’est pas parce qu’une représentation montre une vision positive qu’elle est nécessairement bonne. L’archétype du sage autochtone est semblable à celui de la bonne sorcière : les deux sont des figures « bonnes » qui ont un opposé « mauvais », les deux dictent au groupe représenté un comportement « bon » et dans les deux cas, tout refus ou impossibilité de la part d’un individu de se conformer au rôle « bon » le met automatiquement dans la case « mauvaise ». Ces représentations sont néfastes puisqu’elles ne prennent pas en compte la nuance des individus et représentent un idéal impossible à atteindre. Les Autochtones peuvent être sages et les sorcières peuvent être bonnes, mais les archétypes sont des représentations extrêmes et stéréotypées qui ne laissent pas place à l’erreur ou à la nuance. Une bonne représentation devrait (1) prendre en compte les nuances des individus et de la nature humaine, (2) traiter le personnages, s’il en est un, comme un personnage à part entière et non comme un moyen de représenter un groupe et (3) faire l’objet, si l’auteur ne fait pas partie du groupe représenté, d’une recherche et d’une réflexion sur le groupe représenté.
SUR LE COMBAT
Le but de cette enquête n’est pas de diminuer l’importance du combat pour la préservation des cultures autochtones, qui ont longtemps fait l’objet de tentatives de destruction et sont toujours à risque d’être effacées. L’échange et le partage de cultures est un élément important de la lutte pour les droits de communautés autochtones. De même, le but de cette enquête n’est pas de diminuer l’importance d’apprendre des peuples autochtones. Le but de cette enquête est de mettre de l’avant un problème apparent chez de nombreux « alliés » allochtones, qui tendent à se proclamer sauveurs de « la culture autochtone » et utilisent les « sagesses autochtones » comme outils d’enrichissement personnel et spirituel. Le combat pour la préservation de la culture, bien qu’important, est beaucoup plus facile à mener que celui pour l’amélioration des conditions de vie des communautés autochtones ou pour les femmes et filles autochtones assassinées ou disparues.
Ici commence un acte encore plus subversif. L’institution est-elle prête à lire un auteur sans considérer ses origines? Ma demande est très simple et pourtant, elle semble compliquée. Lorsqu’on me présente, dans une lecture, dans les médias, dans un rayon de librairie, je suis toujours une «poète innue», une «écrivaine autochtone»… Assiste-t-on à la naissance d’un autre exotisme?
Je rêve d’une relation juste, de respect, d’égalité. J’écris pour qu’on nous reconnaisse comme dépositaires d’une grande culture au même titre que les autres cultures et pour que nos valeurs viennent enrichir la part commune de notre humanité. «Innu» signifie «être humain». Je m’appelle humain. Je suis une poète de l’humanité11.– Joséphine Bacon
- Jessica METHA, « White ‘Alliahs:’ The Creation & Perpetuation of the
‘Wise Indian’ Trope », PSU McNair Scholars Online Journal, vol. 14, n. 2 (2020), https://pdxscholar.library.pdx.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1217&context=mcnair ↩︎ - « Magical Native American », TV Tropes, https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/MagicalNativeAmerican ↩︎
- « Magical Negro », TV Tropes, https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/MagicalNegro ↩︎
- Glen Seau COULTHARD, Peau rouge, masques blancs, Éditions Lux, Montréal, 2018 ↩︎
- Rapport final CERP ↩︎
- Glen Seau COULTHARD, op. cit. ↩︎
- An Antane Kapesh, Je suis une maudite sauvagesse ↩︎
- Pierre LEPAGE, Mythes et réalités sur les peuples autochtones, Institut Tshakapesh, 2019, https://www.cdpdj.qc.ca/storage/app/media/publications/Mythes-Realites.pdf ↩︎
- « Femmes & filles autochtones disparues et assassinées », Assemblée des premières nations, https://afn.ca/fr/droits-justice/femmes-et-filles-autochtones-disparues-et-assassinees/ ↩︎
- Ibid. ↩︎
- Joséphine BACON, Uapaki. Pour demain. ↩︎