Se questionner sur les structures de dominance, les fondements même du système capitaliste, est nécessaire. Déjà, au XVIe et XVIIe siècle en Europe, on peut observer leurs mise en place dans la chasse au sorcière, d’une violence insoutenable: «100 000 à 200 000 personnes ont été condamnées au bûcher ou ont succombé aux mauvais traitements » (Julie Delporte). À cette époque, l’état entame sa libération de l’église, et tend vers l’organisation gouvernementale telle que nous la connaissons aujourd’hui: « rationnel ». Sachant qu’une majorité des exécutions étaient faites dans un cadre légal, et que cette «civilité» n’épargna presqu’aucune femme, la confiance en ce monde construit faiblit. C’est à se demander si la dominance, agent premier du capitalisme, est intrinsèquement liée au patriarche.

La chasse

Comme expliqué par Silvia Frederici,  à l’ère industriel, les capitalistes faisaient non seulement profit sur le dos des prolétaires, mais le système en entier profitait des femmes et de leur travail «domestique». L’exploitation est facilitée par les évènements des siècles passés. À la fin du Moyen âge, femmes âgés, sages femmes ou herboristes, jusqu’alors respectées pour leur maîtrise des soins de santé et des procédures d’accouchement, furent écartées de ces services. Ce fût pareille pour les «forgeronnes, bouchères, boulangères, chandelières, chapelières, brasseuses, détaillantes» (S.F.) qui opéreaient. Ainsi, en les accusant de sorcellerie, d’une part les hommes acquièrent le plein contrôle, de l’autre on démonisa leur travail, facilitant ensuite son exploitation non crédité. Les femmes se retrouvèrent assujetties à leur mari en plus que d’être perçues comme une ressource naturelle. C’est comme si elles étaient sans ambition, un potentiel brut n’attendant qu’à être exploité. Voilà qu’elles s’avouèrent réellement coupables de sorcellerie: leurs réalisations étant fruits de magie et non de labeur. L’héritage de ce mécanisme est encore bien présent dans l’écart salarial entre les genres. Ainsi en 2018 au Canada, les hommes gagnaient 13,3% de plus que les femmes de l’heure.

La classe dirigeante instrumentalisait également  la sexualité des femmes à des fins mercantiles. À la Renaissance, les rapports non productifs étaient proscrits non seulement par l’église mais par l’état. Considérant le haut taux de mortalité infantile, la classe politique voulait à tout prix remonter ses forces de travail. Si les enfants étaient voués à être machines, les femmes, pour leur part devenaient usines de production de machines. On affirmait que non seulement le sexe pour le plaisir volerait l’énergie des travailleurs et travailleuses, mais l’homosexualité, les rapports sexuels entre plus âgés et tout autre choses seraient punis. La sorcière devint symbole de ces pratiques «déviantes» (Silvia Federici). 

On peut aussi avancer que le phénomène sorcière était alimenté pour maintenir la hiérarchie, l’écart nécessaire à l’exploitation de l’homme par l’homme. En effet, il faut savoir que le délire était répandu par la haute société. D’ailleurs, l’exacerbation des fantasmes n’a pas eu lieu que dans la tradition orale, tout était diffusé par écrit: gloire à l’invention de l’imprimerie (1454)! Le marteau des sorcières était clef avec plus de 30 000 ventes (Mona Chollet). En bref, les plus éduqués ont tout mis en place pour convaincre tous. En conséquence, les habitants «étaient persuadés qu’elles (les sorcières) détenaient un pouvoir de nuire sans limite.» (M.C.). Quelconque évènement malencontreux,  un accident ou une tempête leurs étaient associés, justifiant ainsi leur mise à mort. Ne s’en prenant jamais réellement aux causes, les malheurs étaient susceptibles de se répéter et donc les buchés de se rallumer sans fin. Même sans événements tragiques, les sorcières représentaient la menace constante de castrer les mâles. Cette croyance se perpétua si bien qu’à la fin du XIXe , la science avançait que les lesbiennes auraient un clitoris aussi développé qu’un pénis. Durant ces millénaires, les hommes prolétaires s’accrochaient à leur supériorité sur la femme, d’autant plus que les mythe menaçaient d’un revirement de situation. Cette préoccupation les empêcha de se révolter contre la vrai source des problèmes, la soumission aux riches. De retour à la chasse aux sorcières, pendant que les pauvres s’entre-accusaient, les plus nantis eux, se sortaient de tout procès juridiques. 

Hypothèses

Devant ces faits, on peut se demander si la domination de l’homme est propre au genre masculin. La compétition qui mène au surpassement continuel de l’adversaire, n’a-t-elle lieu qu’entre mâles. Les rapports de dominances entre femmes ne seraient que fruit du cadre social et politique instauré par le patriarcat. On pourrait comparer le «slut shaming» par exemple au «sorcière blaming». La tendance mâle serait observable chez d’autres espèces animales où chacun s’affronte pour «gagner» la femelle. Cependant, l’argument de «dans la nature» est extrêmement dangereux. C’est celui qui enferme les femmes dans le rôle de mère avec pour cause l’instinct maternel; c’est replacer les individus dans un cadre dépassé, effacer la complexité du contexte actuel; enfin c’est cis-normatif.

Il est malgré tout intéressant de s’imaginer un système construit sur des bases féministes. Plusieurs analyses économiques féministes proposent un traitement différent selon les genres. Plutôt que l’égalité de traitement, selon laquelle l’institution rend le même service à chacun, l’équité prend en compte les situations originalement différentes de chacun(e)s.  Ce dernier concept permet l’atteinte de l’égalité véritable. Si l’équité compensait dans toute les sphères de la vie, elle préviendrait tout rapport de domination, ce qui s’oppose au capitalisme. Si l’état uniformisait tout, aucun ne serait contraint de travailler pour un autre afin d’assurer sa survie. À ce moment, on se rapproche plus du communisme.

 BIBLIOGRAPHIE

Caliban et la sorcière, Silvia Federici, Entremonde,2014, Paris, 403 p.

Chollet, Mona, Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Zones Éditions La Découverte, Paris, 2018.


Delporte, Julie. « Initiation à la sorcellerie politique. » Liberté, numéro 325, automne 2019, p. 67–69.

Rachelle PELLETIER, L’écart salarial entre les sexes au Canada : 1998 à 2018, 2019.

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