«Au plus profonde de l’incurable misère qui opprimait la masse du peuple, il y avait un sentiment continuel d’inquiétude, la conviction que l’Antéchrist allait venir, que la fin du monde et le Jugement Dernier étaient proches. Dans la condition déplorable de la société, déchirée par des guerres incessantes et meurtrie par les talons de fer de la féodalité, l’homme du commun avait vraiment lieu de croire que le règne de l’Antéchrist était imminent; il devait saluer avec joie tout changement de régime qui pouvait améliorer sa condition, mais ne pouvait guère la rendre pire. En outre, le monde invisible, avec ses attractions mystérieuses et l’horrible fascination qu’il exerçait, était présent comme une réalité à l’esprit de tous. Les hommes se sentaient continuellement entourés de démons, prêts à les affliger de maladies, à dévaster leurs maigres champs de blé ou leurs vignobles, à tromper leurs âmes pour les conduire à la perdition; d’autre part, chacun sentait à côté de lui des anges et des saints secourables, écoutant ses prières, intercédant pour lui auprès du Trône de la Grâce, auquel il n’osait pas s’adresser directement. C’est parmi une population aussi impressionnable, aussi accessible aux émotions les plus violentes, aussi superstitieuse, s’éveillant lentement à l’aurore du jour intellectuel, que l’orthodoxie et l’hérésie, c’est-à-dire les forces conservatrices et progressives, allaient se livrer une bataille où ni l’une ni l’autre ne devait remporter une victoire définitive.»